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Stabilité et transition dans les écoulements cisaillés

Les écoulements cisaillés peuvent être, à des nombres de Reynolds suffisamment élevés, le siège d’importantes amplifications d’énergie même si l’écoulement de base est linéairement stable. Les structures les plus amplifiées consistent en des régions allongées longitudinalement et alternées transversalement de haute et de basse vitesse (stries longitudinales, ou streamwise streaks) et sont induites de façon optimale par des tourbillons longitudinaux. Des structures cohérentes en forme de stries sont omniprésentes dans les écoulements turbulents de paroi, où elles sont associées à la création de la traînée turbulente. Dans le cadre de collaborations avec l’IRAP, Imperial College et l’université de Sheffield, la dynamique des structures cohérentes turbulentes à grande échelle a été abordée sous l’angle des systèmes dynamiques non linéaires. Des solutions non linéaires cohérentes exactes à grande échelle (LECS) des équations de Navier-Stokes filtrées dans l’écoulement turbulent de Couette plan et de Poiseuille plan ont été calculées pour la première fois. Des nouvelles solutions LECS pour des nombres de Reynolds très élevés ont ensuite pu être déterminées dans le canal plan, où non seulement la turbulence est pleinement développée mais où la couche logarithmique est bien formée et les échelles de paroi sont bien séparées des grandes échelles. Ces résultats mettent en évidence l’existence d’un continuum de structures cohérentes capables d’extraire de l’énergie directement de l’écoulement moyen via un mécanisme de lift-up cohérent et non pas par les mécanismes de type bottom-up ou top-down invoqués par les interprétations les plus en vogue actuellement. Il est conjecturé que ces structures auto-entretenues sont les fameux attached-eddies de Townsend dont l’existence a été postulée il y plus d’un demi-siècle.

Des recherches récentes dans l’équipe ont montré que les forçages stationnaires optimaux pouvaient être fortement amplifiés dans les sillages 2D de corps épais, tel que celui de Von Kármán se développant à l’arrière d’un cylindre, en produisant efficacement des stries dans ces sillages (Del Guercio et al., J. Fluid Mech. 2014). Il a été montré que ces stries permettaient de stabiliser voire de supprimer complètement l’instabilité absolue des sillages parallèles et l’instabilité globale des sillages non-parallèles. Ces recherches ont été poursuivies en étendant l’approche utilisée pour le contrôle de sillages 2D à des sillages 3D. Il a été montré que, dans le cas d’un corps épais axisymétrique l’aspiration et le soufflage optimaux périodiques entraînent la formation de tourbillons quasi-longitudinaux qui induisent l’amplification de stries longitudinales dans le sillage 3D. Les amplifications optimales d’énergie sont toutefois inférieures à celles observées dans le cas de sillages 2D. Forcées à amplitude finie, les stries longitudinales ont un effet stabilisant sur le lâcher tourbillonnaire instationnaire dans le sillage 3D, et, associées avec un soufflage au culot de faible amplitude, elles peuvent complètement supprimer l’instationnarité du sillage (Marant et al., C. R. Mech. 2017). La même démarche a été utilisée dans le cas des jets cylindriques, où il a été mis en évidence un mécanisme original de croissance transitoire d’énergie de perturbation conduisant à un déplacement en bloc du jet (mécanisme de shift-up). Dans le cadre d’une collaboration avec l’université de Jaén (Espagne), une analyse en perturbation optimale a en outre permis de déterminer les lois d’échelle contrôlant le développement de stries longitudinales optimales, dont la saturation non-linéaire pourrait permettre de supprimer la croissance des instabilités de Kelvin-Helmholtz du jet, et ainsi diminuer potentiellement le bruit généré par le jet (Jimenez-Gonzalez et Brancher, Phys. Fluids 2017). Les instabilités de jets ont aussi été étudiées dans l’objectif de caractériser les mécanismes physique à l’origine du phénomène de sifflement d’un jet formé par un écoulement a travers un trou dans une plaque épaisse ou bien à travers deux trous successifs. Cette situation a été analysée par résolution des équations de Navier-Stokes linéarisées, dans une situation forcée (calcul d’impédance) et libre (recherche de valeurs propres). Deux types d’instabilités ont été identifiées : une instabilité conditionnelle nécessitant la présence d’un résonateur acoustique convenablement accordé, et une instabilité purement hydrodynamique existant même dans le cas d’un fluide strictement incompressible (collaboration avec l’université de Salerno, Italie). Une étude expérimentale est en cours et les premiers résultats sont en excellent accord avec la théorie.

Les recherches menées sur les instabilités hydrodynamiques et la transition se sont aussi intéressées à l’étude de la formation d’états spatialement localisés, en exploitant de manière complémentaire la simulation numérique (développement d’outils spécifiques et notamment de méthodes de continuation) et l’analyse de la formation de structures par les théories des systèmes dynamiques. Les travaux ont porté sur la faculté d’un système fluide à produire un écoulement structuré sous la forme d’états spatialement localisés. La dynamique non-linéaire qui en est responsable, et dont la découverte est récente, est générique et peut être observée dans de nombreux systèmes fluides. Par le passé, cette dynamique a ainsi été étudiée dans la convection de Marangoni-Bénard, dans la double-diffusion, dans les écoulements de films liquides, dans la magnéto-convection et dans les écoulements en présence de rotation. Entre 2014 et 2018, nous avons mis en évidence et analysé cette propriété et discuté ses implications pour la convection naturelle de double-diffusion en 3D, la convection naturelle en milieu poreux saturé en 3D, la convection en présence de rotation et la formation de flammes de diffusion. Ces travaux sont menés en collaboration avec Berkeley et l’université de Leeds. Certains de ces thèmes s’inscrivent dans les activités du GDR “Micropesanteur Fondamentale Appliquée”.