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Pour le phytoplancton dans la turbulence de l’océan, l’union fait la force !

Une équipe internationale, constituée de chercheurs issus de l’IMFT (E. Climent, S. Lovecchio), de l’Université ETH (R. Stocker) à Zurich et de l’Université de Sheffield (W. M. Durham), a mis le doigt sur plusieurs mécanismes de déplacement inédits du phytoplancton soumis à la turbulence dans l’océan. Ces travaux viennent d’être publiés dans Science Advances « Chain formation can enhance the vertical migration of phytoplancton through turbulence »

Pour comprendre l’intérêt et l’originalité de cette découverte, il faut remonter aux sources de ce travail de recherche qui débute en 2011.
Les premières analyses sont effectuées dans un écoulement modèle sans turbulence, un réseau fixe de tourbillons, pour simplifier la démarche. Le travail prometteur donne déjà lieu à une publication en 2011 dans Physical Review letters.
Entre temps, la turbulence a été introduite dans les travaux de modélisation et les collaborations se sont étoffées, puisque des chercheurs italiens travaillant sur le même sujet sont venus enrichir l’équipe et contribuer à deux nouvelles publications, dans Nature Communications en 2013, puis à nouveau dans Physical Review letters, en 2014.

En partant du constat que ce type de plancton pratique une nage directionnelle vers le haut en raison de la répartition spatiale de sa masse intracellulaire, les chercheurs constatent qu’il a tendance à se concentrer dans les zones de fluide descendant, au lieu de se disperser sous l’effet du mélange turbulent. Ils observent même aux moyens d’études expérimentales et numériques aux petites échelles que l’accumulation se fait au cœur et à la périphérie des tourbillons, cette accumulation pouvant atteindre 100 fois la concentration moyenne de la suspension !

Avec les mêmes outils de simulation enrichis d’observations issues de campagnes en mer, ils poursuivent leurs investigations et découvrent une stratégie inattendue du phytoplancton qui pratique la nage en chaine, découverte faisant l’objet de leur dernière publication en 2019.

Le modèle de simulation utilisé tout au long de la recherche intègre les équations régissant le mouvement de l’écoulement turbulent et la trajectoire de plusieurs centaines de milliers de micro-organismes. La forme des micro-organismes étudiés évolue au cours des différentes étapes de l’étude, passant de sphérique à allongée pour tenir compte de la formation de chaines. Afin de bénéficier du calcul scientifique de haute performance, les chercheurs recourent au supercalculateur Hypérion puis Eos de Calmip. L’analyse statistique des données permet d’identifier quant à elle la concentration de la suspension et la vitesse moyenne de migration verticale.

Les micro-organismes du phytoplancton de taille micronique sont capables de nage autonome, avec un temps de réorientation gyrotactique proche de celui de l’écoulement ; ils pratiquent aussi une nage en pelotons dans les zones de fluide ascendant de la turbulence afin de garder l’orientation verticale de leur nage, en économisant de l’énergie : le gain est en effet d’un facteur 2 pour une chaine de 8 à 16 individus ! Cette stratégie rend plus efficaces les déplacements quotidiens, tantôt en profondeur pour se nourrir, tantôt en surface pour profiter de l’exposition à la lumière.

Cette recherche cruciale pour mieux quantifier les flux biogéochimiques dans l’océan, contribuer à mieux gérer la pêche et réguler la prolifération des algues toxiques n’a pourtant fait l’objet d’aucun financement institutionnel. Un projet plus formalisé pouvant intéresser plusieurs communautés scientifiques – biologistes, physiciens, océanologues, mécaniciens des fluides – permettrait de percer d’autres secrets relatifs aux déplacements du phytoplancton, qui est à l’origine de 50% de la production d’oxygène mondiale et constitue l’élément de base de la chaine alimentaire marine.

Visualisation des zones d’accumulation (en rouge) du plancton gyrotactique dans la turbulence.
Trajectoire d’un micro-organisme de phytoplancton passant à travers la turbulence. Les flèches indiquent la direction instantanée de la vitesse de nage.